Des responsables d’une dizaine de pays africains se réunissent les 21 et 22 octobre 2019 à Rabat au Maroc, pour faire le point des mesures prises depuis 2017 contre la piraterie maritime et la pêche illégale, et envisager des solutions plus fortes.
Un mot fort dans le thème de l’atelier : éradication. L’idéal n’est plus seulement de lutter contre le phénomène, mais bien de le «détruire à la racine». C’est cet horizon que propose, aux participants venus des pays membres de sa zone d’intervention, la Conférence ministérielle sur la Coopération halieutique entre les États africains riverains de l’océan Atlantique (COMHAFAT). La concertation n’est pas une première du genre, les précédentes assises ayant abouti à des engagements forts, consignés dans la «Déclaration de Tanger», en octobre 2017. Deux années plus tard, il s’agit d’en évaluer la mise en œuvre, autour du thème interpellatif : «Quelles solutions pour une éradication de la piraterie maritime dans la zone Comhafat ?». Dans cette logique, la priorité revient à un échange d’expériences, pour apprendre ce qui se passe dans divers pays, et entrevoir des actions plus énergiques.
Piraterie : une pieuvre
Une constance se dégage des présentations : les pirates étalent leurs tentacules, affinent leurs méthodes, modernisent leurs moyens, et multiplient leur sphère informelle d’influence (par la corruption notamment). D’où la nécessité d’une lutte plus acharnée, massive, et concertée. Pour le cas du Golfe de Guinée (du Sénégal à l’Angola), on souligne qu’elle est devenue la deuxième zone la plus dangereuse du monde, après le golfe d’Aden. M. Abdenaji Laamrich, responsable des programmes à la Comhafat, en a peint un tableau avec froideur et frayeur : 293 attaques recensées en 2011 (sans compter celles que l’on ignore), 200 en 2018, destruction d’embarcations, prises d’otages avec demandes de rançons (avec des pays particulièrement touchés : Bénin, Ghana, Nigeria, Congo, Cameroun). Les causes de l’aggravation du phénomène sont à examiner, entre autres, à travers la forte attractivité des nombreuses ressources halieutiques de la zone, la course au pétrole, l’instabilité politique de certains États, la faiblesse des moyens de protection ou de riposte, la forte circulation des armes, les disparités des politiques nationales de lutte contre la piraterie, la faible coopération entre États.
Certes, quelques signes d’amélioration se font sentir avec une baisse des attaques dans le premier trimestre 2019, due essentiellement aux mesures énergiques de combat prises par le Nigeria (21 incidents, contre 31 pour la même période en 2018).
Situation préoccupante dans tous les pays
Mais, le combat est loin de donner satisfaction et de susciter du répit, indépendamment des États, tel qu’il ressort des présentations de divers participants. Le capitaine Antonio Duarte Monteiro interpelle sur la situation du Cap-Vert qui, avec sa position géographique de carrefour tricontinental Afrique-Amérique-Europe, devient un passage stratégique qui attire de ce fait des trafiquants de tous bords. Les mesures nationales ne suffisent plus (centre d’opération de sécurité maritime, surveillance par bateau) ; d’où une coopération multiforme avec des partenaires africains, européens, asiatiques, américains. Et il en faut plus : équipements modernes, formation appropriée de personnels dédiés, meilleure coopération régionale.
Hormis la position géographique, cette situation est transposable à plusieurs pays. La Côte d’Ivoire a acquis quatre navires de patrouille en 2O15, annonce Hyacinthe Djoro Gnepa, chef du Centre de contrôle et de secours d’Abidjan, qui établit un lien cyclique entre la piraterie et d’autres formes de crimes internationaux (terrorisme, blanchiment d’argent, trafic des armes, drogues et êtres humains). Au Gabon, même si aucun acte de piraterie sanglante n’a été enregistré depuis 2013, le coût de cette «protection», demeure élevé à cause des nombreuses ressources maritimes, minières et forestières de la région, martèle Ulrich Evrard Boupoya, expert en sûreté maritime. Pas d’acte aggravé aussi de piraterie maritime en Gambie, «mais recrudescence inquiétante de la pêche INN» : situation paradoxale décrite par Mme Aji Alasan Senghore, officier de sécurité maritime à l’agence gambienne chargée de ce secteur. Pour comprendre le phénomène, elle revisite des facteurs comme le chômage élevé, l’absence de législation appropriée, la faiblesse des moyens de contrôle, «la frustration des pêcheurs et surtout la corruption».
Écho quasi identique en Guinée Équatoriale, où Antonio Ekiri Eseng décrit une «forte exposition à la piraterie et à la pêche INN», en dépit des mesures déployées : patrouilles inopinées, radars sur des points stratégiques, centre de formation, coopération régionale et internationale. Pour sa part, sans vouloir doucher l’optimisme, Josiah Omasco Botoe assène une réalité déconcertante : «augmentation de 450 % des actes et incidents de piraterie entre 2017 et 2018, dans la région couverte par le Centre de Contrôle de Monrovia», dont il est le directeur adjoint.
Cela se passe de commentaires, il faut agir, vite et avec force. Les premières pistes d’action sont explorées à travers l’expérience du Maroc en matière de surveillance des côtes et des mers, exposée par le colonel Jawad Bensouda, du Centre de surveillance et de secours maritime. L’agrégation des autres suggestions ouvriront la voie vers l’éradication tant souhaitée de la piraterie maritime en Afrique.
André Naoussi (à Rabat)